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En quoi le créatif est-il courageux ?

La créativité en matière de communication visuelle demande-t-elle du courage ? Et d’ailleurs, qu’est-ce que le courage ? Mais pourquoi on se pose toutes ces questions d’abord ?

Courageux le créatif ? Quelle drôle d’idée…

L’autre jour, durant notre pause déjeuner, nous discutions nouvelle saison de Stranger Things. Mais ça va pas la tête les gosses ! Vous enfoncer dans la nuit noire de la forêt au moindre bruit étrange — après une mystérieuse disparition —, pour découvrir ce qui s’y trame…

Ah ça, on peut dire qu’ils sont courageux les minots !

Nous, c’est sûr, on fuirait lâchement à toutes jambes…

Normal, on est des créatifs !

Hé oui, Messieurs-Dames, des créatifs confortablement installés dans nos bureaux climatisés. On n’a pas besoin d’être courageux… Qui plus est de nuit dans la forêt.

Mais au fait, au nom de quoi nous autoproclamons-nous « créatifs » ?

Parce que notre métier consiste à produire pour nos clients un résultat inattendu qui produit l’effet escompté. Et, soit dit en passant, précisément parce qu’il est inattendu, nous ne sommes jamais sûrs que le client va sauter de joie.

Cela demande-t-il du courage pour autant ?

Le courage, c’est quoi au juste ?

Chez Le Robert ou chez Larousse, le courage, c’est « agir malgré les difficultés » ou la « force de caractère qui permet d’affronter le danger, […] les circonstances difficiles ». Tout est dit.

En fait, non, tout n’est pas dit : ces définitions réduisent le courage au cadre de l’action. Et si le courage était aussi une questionde posture ? La posture relève d’un choix, d’une volonté continue.

Intéressant non ?

On étudie un peu la question et on revient…

Qu’en dit Aristote ? (au calme)

Quitte à aborder une notion philosophique, autant s’adresser aux plus grands…

Il y a plus de 2000 ans, le courage tel que l’exprime le philosophe s’apprécie en situation, dans un contexte d’univers instable comme peut l’être celui du clinicien. Plaît-il ? Je sais pas vous, mais nous, on n’a pas tout compris…

Plus concrètement, Aristote théorise le courage comme le juste milieu entre deux extrêmes :

  • La lâcheté d’un côté (partir en courant au moindre bruit dans la nuit noire de la forêt),
  • La témérité de l’autre (s’y enfoncer pour découvrir ce qui s’y trame).

Dans la Grèce Antique donc, faire preuve de courage, c’est agir sans lâcheté, ni témérité.

Ah ! Aristote induit cette notion de posture choisie. Et pour rejoindre les définitions contemporaines, la posture est en lien avec l’action. Le « courageux » choisit d’agir sans lâcheté, ni témérité.

Le courage selon Max Weber (re au calme)

Poursuivons notre réflexion avec une autre définition qui nous a interpellés, celle de ce bon vieux Max Weber. Pour l’économiste et sociologue, avoir du courage, c’est composer à la fois avec sa propre éthique de conviction et avec sa propre éthique deresponsabilité.

Rhooooo, ils recommencent avec leurs concepts relous… Mais non, promis, c’est simple (la preuve : même nous, on a compris) :

  • L’éthique de conviction nous pousse à vouloir imposer notre propre vision, nos propres valeurs.
  • L’éthique de responsabilité, quant à elle, nous invite à tenir compte du monde réel, des circonstances.

En d’autres termes, d’après Weber, une posture courageuse consiste à agir suivant ses propres convictions tout en tenant compte du contexte.

Alors, courageux les créatifs ?

Oui, parce que c’est bien joli d’aller chercher des références chez Aristote et Max Weber, mais c’est quoi le rapport avec la communication visuelle ?

Aristote nous aurait-il jugés courageux ?

Nous sommes courageux au sens où l’entend Aristote lorsque nous ne sommes ni lâches, ni téméraires. Soit. Mais en matière de communication visuelle, comment cela se traduit-il ?

Nous serions téméraires — façon tête brûlée — si nous produisions des créations uniquement en fonction de ce qui nous plaît. Ça passe ou ça casse…

Pas le genre de la maison.

Être lâche consisterait à proposer un logo, une identité visuelle ou un webdesign traduisant de façon attendue exactement ce que nous demande le client. Et rien de plus…

Même pas en rêve.

Alors ?

D’un côté, parce que nous sommes des créatifs, nous avons besoin de surprendre. D’ailleurs, c’est là que nos clients nous attendent.

De l’autre, il nous est nécessaire de nous projeter à travers le regard du client, son marché, le contexte concurrentiel.

Nous sommes en permanence à la recherche de l’équilibre. Et en ce sens, oui, Monsieur Aristote, nous sommes courageux.

Monsieur Weber, sommes-nous courageux ?

Éthique de conviction : faire ce qu’on aime, ce qui correspond à nos propres valeurs.

Éthique de responsabilité : se cantonner aux faits, au contexte.

Nous sommes ici au cœur de notre réflexion de chaque instant.

La « zone de courage », c’est la synthèse entre les deux éthiques nous conduisant à vous bousculer avec délicatesse, juste ce qu’il faut pour vous surprendre, tout en restant en cohérents avec la demande initiale.

C’est ce que nous avons fait récemment pour All Vape, site e-commerce dans le domaine de la cigarette électronique : le client nous demande une refonte de son logo.

Première impulsion, l’éthique de conviction : on y va franco, on fait ce qu’on veut. Parce que les graphistes, c’est nous. On fait table rase !

Mais c’est sans compter avec l’éthique de responsabilité. Elle nous rappelle qu’il y a un contexte. Qu’il est utile de conserver en partie ce qui existe, pour ne pas perturber la perception de la clientèle existante. En résumé : il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain (expression idiote soit dit en passant, parce qu’un bébé, c’est beaucoup trop gros pour passer par la bonde).

Alors on fait comment ? On synthétise

L’éthique de responsabilité est nourrie par le brief, la demande client, son marché, ses objectifs. L’éthique de conviction, par notre désir ardent de tout bousculer.

La « zone de courage » se situe à l’intersection : innover — parce que c’est notre métier — tout en gardant les pieds sur terre.

Revenons à notre refonte de logo :

Nous sommes responsables parce que nous respectons l’histoire de la marque : nous conservons « la goutte » du logo (sincèrement, ce n’est pas ce qui nous plaît le plus…). Mais cette goutte, nous la réinterprétons au sein d’une identité visuelle rafraîchie, plus street, plus en accord avec l’identité de la marque.

Et vous ne doutez jamais chez Cominup ?

Bien sûr que nous doutons ! Tout le temps même. Et bien que nous soyons convaincus de la pertinence de nos propositions, nous ne sommes jamais sûrs de l’accueil que celles-ci vont recevoir.

Le doute va de pair avec le courage.

Quand nous arbitrons entre lâcheté et témérité,

Quand nous sommes au croisement de nos convictions et de nos responsabilités,

Quand nous voulons surprendre tout en répondant au besoin exprimé,

Quand nous cherchons à vous bousculer sans vous faire tomber,

Nous doutons.

Et oui, nous faisons preuve de courage. Parce que nous sommes en permanence en recherche de l’équilibre juste.

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